Peet, jazzy belge
La conception de son dernier album À demain, son attrait pour le jazz ou encore son rapport au rap suisse ; session interview avec Peet.
5 avril 2025. Aficionados jazz de tous horizons se pressent sur les rives du Lac Léman pour l’ouverture de la 42ème édition du Cully Jazz Festival, évènement devenu référence en la matière. Au programme ce soir-là, l’artiste bruxellois Peet ; actif depuis plus d’une décennie dans le rap, celui-ci a façonné son univers à coup de samples jazz et s’entoure désormais d’un live band calibré lorsqu’il performe sur scène. Guère étonnant donc, de le voir déambuler en terres helvétiques en compagnie de Morgan, Veeko, Ferdi, Jérémy Dumont et Nicolas Felices pour retourner le Next Step (spoiler ; ce fut le cas). En amont, Le Flow s’est entretenu avec l’un des fer de lance du panorama musical belge. Morceaux choisis.
Le Flow : Quel est ton rapport avec le jazz ? Tu te souviens du premier disque que tu as écouté ?
Peet : « Je m’y suis vraiment intéressé quand j’ai commencé à produire des instrus hip-hop notamment, car beaucoup d’influences proviennent du jazz. Je pense qu’avant même de tâter ce genre musical, il était déjà ancré en moi ; à la maison, on avait un livre avec plein d’autographes d’artistes jazz. Un jour, ma mère m’a même confié que mon grand-père possédait un club de jazz vers la galerie de la reine à Bruxelles, donc tu vois, c’est de famille ! Quant au premier disque que j’ai écouté, c’était sûrement du Miles Davis, un truc bien classique comme ça ».
LF : Sur tes titres comme sur ceux des autres, tu as beaucoup samplé de jazz japonais, quel est ton attrait pour ces sonorités ?
P : « Pour tous mes diggers de son, je vous conseille d’aller sur YouTube et de taper « Rare Jazz Groove » ou bien « Vinyl Frontier Extra » dans la barre de recherche. C’est grâce à ça que j’ai commencé à écouter des tracks japonaises. Parmi les titres, j’ai fini par tomber sur ceux du musicien Masayoshi Takanaka. Pendant la création de Todo Bien, je voulais trop concevoir la pochette du projet en fonction d’anciennes covers vintage. J’en ai donc testé quelques-unes avant de décider de reproduire à l’identique celle de l’album « All of Me » de Takanaka, qui, il faut bien le dire, est déjà culte de base. La seule différence avec la mienne, c’est qu’on a un beau panorama de Bruxelles en arrière-plan ! ».
LF : Toujours rayon sample jazz, en 2017 parait le titre Smooth, l’un de tes plus streamés à ce jour. Tu peux me raconter sa conception ?
P : « Au risque de décevoir les lecteurs, je ne saurais même pas te dire quel est le sample ni comment je l’ai trouvé. Smooth, il y’a plein de gens qui m’en parlent encore, qui m’ont découvert via ce morceau. J’arrive pas à expliquer cette aura, c’est de la magie un peu. De base, mon entourage n’était pas fan de l’instru, c’est Roméo qui m’a convaincu de poser dessus, sans lui le son ne serait peut-être jamais sorti. Comme quoi de temps en temps c’est bien de s’écouter, même si j’ai toujours besoin de l’avis de mes frérots ».
LF : Au final on connait le Peet rappeur mais un peu moins le Peet beatmaker ; comment t’es tombé dans la production ?
P : « Morgan, mon pote depuis 20 ans, traînait à l’école avec Elvin Galland, devenu pianiste de renom par la suite. Un jour il m’a emmené chez Elvin qui touchait déjà à la production. Son cousin était en train de bidouiller via une MPK25. Là je me suis dit, « okay je veux faire pareil », du coup j’ai acheté exactement le même modèle ainsi que le logiciel Logic Pro. Au même moment j’ai commencé à écouter du J Dilla, puis je me suis mis à la MPC et dès lors j’ai plus jamais lâché ».
LF : Sur cette fameuse MPC se trouve le sticker d’un groupe suisse qui t’as matrixé ; La Base & Tru Comers.
P : « Évidemment La Base ! J’ai connu le crew par l’intermédiaire de Félé Flingue avec qui j’étais dans le 77. Mon pote Zwangere Guy avait organisé tout un voyage avec des mecs de Bruxelles pour aller voir La Base, il avait loué un bus carrément ! On avait été les voir à la Coupole de Bienne pour un de leur concert et on a connecté avec eux, un morceau a même été enregistré. Au-delà de La Base, le duo de producteurs Tru Comers est beaucoup trop fort dans le style old school. Avec le temps, on a gardé contact avec Buds. En parallèle de la musique, c’est un entrepreneur, j’ai l’impression qu’il est tout le temps en train de faire des trucs et surtout c’est un gars qui fait prospérer le hip-hop pour de vrai en suisse »..
LF : Tu peux me raconter la conception de ton dernier album, À demain ?
P : « J’ai mis environ 6-7 mois à faire ce projet. Quand j’ai sorti Todo Bien en 2023 j’avais déjà coffré certains titres présents sur À demain. Je t’avoue que ces deux projets sont un peu liés dans le sens où je les ai conçus au feeling. Ils ont cette vibe home-studio, self made. Bien sûr pour le rendu final je fais appel à des gens entre temps mais jusqu’à la maquette c’est du 100% self-made ».
LF : Parmi les featurings, on retrouve d’ailleurs une artiste suisse, Ele A ; comment vous avez connecté ?
P : « J’ai vu passer un réel sur Instagram d’un de ses sons alors que j’étais pleine en recherche de featuring pour l’album, ce qui est toujours une démarche assez compliquée. Je lui envoie un message pour savoir si elle serait intéressée à l’idée de figurer sur un morceau. Quand je vais dans ses DM je m’aperçois qu’elle m’avait déjà mentionné dans une story à l’ancienne car elle m’écoute depuis longtemps ! Du coup elle m’a répondu direct pour me dire qu’elle était trop motivée. Je lui ai envoyé l’instru de Leão et elle a posé son couplet en deux secondes, si bien que j’ai été hyper impressionné par ses skills. On a pas encore eu l’opportunité de se produire les deux sur scène mais qui sait, à l’avenir ».
LF : Tu écoutes d’autres artistes helvétiques ?
P : « Les artistes de la SuperWak et plus particulièrement Mairo. Je trouve qu’il réussit tout ce qu’il entreprend niveau sorties. Le genevois Chien Bleu aussi, on a partagé des scènes ensemble, il bosse avec l’ingénieur du son L’Œil Écoute Laboratoire. Peut-être qu’on fera des trucs à l’avenir ».
LF : Les artistes rap accompagnés d’un live band ne sont pas légion ; comment tu as composé cette équipe de choc ?
P : « Avec mon acolyte Morgan on se connaît depuis l’adolescence donc forcément on est toujours ensemble. J’ai également l’immense privilège d’être entouré de musiciens talentueux ; Veeko à la batterie, Nicolas Felices à la basse, Jérémy Dumont aux claviers et Ferdi au saxophone. Je me souviens que pour ce dernier, on s’est connecté lorsque je faisais une série de lives Instagram pendant le confinement afin d’élaborer l’EP Peper. Louison de Tony la Fripe m’a prévenu qu’il souhaitait interagir au saxo pendant mon live, c’est ainsi que le morceau Tournée a vu le jour. On a connecté comme ça. Je l’ai invité en résidence pour mon album Mignon et depuis c’est devenu le frérot ».
LF : C’est quoi la suite pour toi cette année ?
P : « Je suis en train de plancher sur un album pour j’espère début 2026. J’ai envie de peaufiner le côté organique de la chose avec mes musiciens. Je suis fier de tous mes projets mais le prochain je pense que ce sera l’album de ma vie, un truc intemporel qui aura encore du sens dans 10 ans. Même si en vrai, tant que je prends du plaisir dans ce que je fais c’est ça le plus important ».
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