ElGrandeToto, porte-étendard du rap marocain

Crédit : Anthony Larpin

1 milliard de streams cumulés, une myriade de certifications or, platine, diamant, des tournées internationales à guichets fermés, des featurings de prestige et plus récemment, 400 000 personnes réunies pour son show en clôture de la 20ème édition du Festival Mawazine. L’artiste derrière ces statistiques dantesques, c’est ElGrandeToto, rappeur marocain de 29 ans dont l’humanisme n’a d’égal que le génie créatif dont il fait preuve depuis ses débuts. Présent en Suisse le 25 juillet dernier lors du Paléo Festival, celui qui détient le statut d’artiste arabophone le plus écouté au monde s’est entretenu l’espace d’une demi-heure avec Le Flow en préambule d’un concert d’ores et déjà mémorable.

Une bonne dose de featurings pour celui qui ne lésine pas sur les collaborations internationales : « Même si j’ai besoin d’une certaine alchimie lorsque je bosse avec quelqu’un, faire un feat, c’est s’assurer de taper plus facilement des certifications. Quand t’es un artiste, il est hyper important de comprendre les rouages de l’industrie musicale. Par exemple le système de certifications est tellement différent d’un continent à l’autre. En Inde, apparemment je suis 20 fois platine c’est énorme ! Tandis qu’au Maroc ce système n’existe même pas, ce qui est tellement dommage pour les artistes locaux qui charbonnent et n’ont pas cette reconnaissance. Je suis actuellement en train d’essayer d’y remédier avec mon amie Diadame Diaw qui a bossé pour African Music & Charts ainsi qu’avec le ministère de la culture ». Conçue suite aux propos de l’ex premier ministre marocain qui a qualifié le rappeur de « salgout » signifiant voyou, la mixtape a été coffrée en à peine deux mois dixit ElGrandeToto, convaincu que le titre du projet possède une portée universelle : « Au début, je voulais juste répondre à cette attaque sur Instagram en modifiant le terme en « SALGOAT » puis je me suis dit que j’allais carrément jouer le jeu à fond et sortir une mixtape éponyme. Être un « SALGOAT » c’est avant tout un lifestyle et je pense que des nombreuses personnes vont se reconnaitre dans cet intitulé ».

Très pointilleux quant à son univers visuel, l’artiste a fait appel à Frankie Allio, qui possède la triple casquette de photographe, réalisatrice, directrice artistique afin de concevoir la cover du projet. Collaboratrice du rappeur depuis quelques années, cette dernière a bouclé le design en à peine deux minutes selon le principal intéressé : « On était en studio à Lugano avec le rappeur Baby Gang quand Frankie a élaboré le personnage à l’aide de l’intelligence artificielle. De base, je voulais une cover avec plusieurs versions de moi-même comme Niro via son album « Les Autres ». Puis on est parti sur cette entité dans le style de Jean-Michel Basquiat. J’ai dit à Frankie « met lui des yeux rouges, pète lui une dent, cale lui un spliff et on est bons. Elle l’a orné d’un pendentif avec la photo de ma mère et c’était plié ». Dans la foulée de la sortie de la mixtape, ElGrandeToto a lancé sa marque textile éponyme dont il revêt les sapes en concert, de quoi chauffer à blanc sa fanbase en attente du drop officiel : « J’aime laisser le temps aux gens de s’identifier à la marque alors même que rien n’est encore disponible à l’achat. Le proverbe arabe « Affame ton chien et il te suivra » colle hyper bien à ma stratégie marketing. Dis-toi que si tu traines dans les marchés aux puces marocains, tu peux déjà trouver des fausses sapes « SALGOAT ». Je laisse le faux se propager, l’attente grandir, et après je balance les vraies pièces. C’est pas juste du merchandising, c’est une marque à part entière qui va perdurer dans le temps. Je prévois d’implanter trois usines ; une au Maroc, une en Europe et une aux States. Mon objectif c’est que ce soit la marque streetwear numéro 1 au Moyen-Orient d’ici 5 ans, avec un million de commandes ».

Bien qu’il confie puiser son inspiration dans son environnement, ElGrandeToto considère Pharrell Williams et Rick Rubin comme références phares en matière de mindset, le livre « The Creative Act: A Way of Being » du gourou de Def Jam ayant changé radicalement son processus créatif. Quant au lancement prochain de sa marque, ce dernier nous livre quelques exclu : « Le jour où je lance officiellement le textile « SALGOAT » j’ai prévu de concevoir une gigantesque fête foraine immersive à la Travis Scott. Au Maroc ça existe pas trop ça. Je veux me baser sur les fêtes foraines de Grenoble, là où ma mère a grandi. C’est le souvenir le plus fort que de mon enfance avec elle. Si tous se passe comme prévu, je start ça le 27 décembre 2025 pour célébrer mes 9 ans de carrière ».

Impossible de conclure l’interview sans évoquer la scène rap helvétique, surtout que Di-Meh et Rounhaa ont été conviés par l’artiste à performer en sa compagnie au Paléo : « La scène suisse je l’ai découverte grâce à Di-Meh. Ce mec, il va connecter avec toi et direct te conseiller d’autres bougs. C’est ce que j’aime chez lui, il a la mentalité hip-hop. Parfois j’ai l’impression qu’il est incompris ici alors qu’il est ultra talentueux. Avec mon frère on le surnomme Pitbull, parce qu’il lâche jamais le morceau, il est déterminé. Au Maroc, il est perçu comme le fer de lance du rap suisse. Depuis son clip « SIZE » on le respecte trop, on est fier de lui et on veut qu’il aille encore plus loin. Récemment j’ai écouté quelques sons de Kenzy, il est fort aussi. Je suis chaud pour un featuring. Si il veut une accapela de ElGrandeToto c’est possible ! ». Ce qui est dommage, c’est que le talent vous l’avez en suisse, mais je trouve que les auditeurs ne sont pas assez investis. En Belgique, la scène rap a explosé avec des gars comme Damso et Hamza mais aussi parce que le public belge a poussé de fou pour que ça prenne ! Nous, ce qui nous a aidé à nous exporter c’est qu’on a un public local qui est hyper fier. Même sans m’écouter, des gens se sont déplacés me voir au Zénith de Paris juste parce que je suis marocain, et ça, c’est infiniment précieux ».

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