Alors c’est quoi l’egotrip?

Orelsan

Pas de rap sans ego. Du petit rappeur qui pose des 16 dans sa chambre aux big boss du game, rares sont les artistes qui ne font pas l’apologie d’eux-mêmes dans leurs sons. Figure de style aussi vieille que le genre, l’egotrip semble être un passage obligé de toute carrière digne de ce nom. Mais pourquoi l’égo prend-il plus de place dans le rap que dans n’importe quel autre genre? Entre concurrence, orgueil et testostérone, petite histoire de l’egotrip.

Un figure de style qui fait légion

Pour comprendre le recours à l’egotrip dans le rap, il faut commencer par saisir le sens du mot lui-même. L’égotrip, c’est l’action d’attirer l’attention sur soi en exagérant son importance, son influence et son pouvoir, voire même parfois les trois en même temps. Narcissisme pur si l’on s’en tient à sa définition, dans le rap l’égotrip s’est mué en une véritable figure de style.

Dès le début des années 90 à New-York, trois journalistes choisissent même de faire de l’égotrip leur mantra en créant un magazine éponyme. Volontairement irrévérencieux, consciemment provocateur, Egotrip, le magazine, avait l’ambition de faire valoir à la fois la figure de style mais aussi et surtout de donner à la musique urbaine, jusqu’ici souvent boudée par les élites, ses propres lettres de noblesse. Nas, Method Man ou encore De le Soul, ont ainsi fait la couverture du magazine et popularisé avec eux cette éloge du moi.

Le jeu du plus fort ?

Freeze corleone, Damso, Nekfeu, Kaaris… L’Europe n’échappe pas à la course à l’égo et la tentation du nombrilisme est légion. À l’opposé d’un rap conscient qui dénonce, l’égotrip ne sert qu’à asseoir sa suprématie et écraser la concurrence. Parce que la culture rap, c’est aussi la culture du battle et du clash. Faire le paon pour fragiliser ses adversaires, tous ou presque s’y sont essayé. Il suffit de se remettre quelques Rap Contenders pour voir que c’est comme ça que tout a commencé pour certains. Et fini pour d’autres.

Et puis sur cette terre majoritairement masculine, l’égotrip c’est aussi beaucoup (beaucoup) de testostérone. A qui la plus grosse voiture, à qui la plus belle liasse de billets, à qui la plus belle go. Grande parade du plus fort, l’égotrip peut parfois faire sourire tant il est caricatural. Mais est-il vraiment sérieux ?

Dans “Mauvaise Nouvelle”, Ben PLG distille peut-être quelques éléments de réponse : “Je suis le meilleur rappeur de la terre, si je le pense pas qui va me sortir de la merde?”. Parce que plus que de l’autopromo, l’égotrip c’est peut-être aussi de l’autodéfense. Un genre de méthode Coué qui permet de se rappeler qu’on a quelque chose de spécial à proposer sur une scène qui déborde de talents. Parce que dans la rap, la concurrence est rude. Les artistes sont nombreux, le genre pèse très lourd dans l’industrie de la musique et les places sont chères. Dans ce marché très concurrentiel, faire la promotion de soi-même ou de son œuvre est ainsi devenu une arme indispensable dans la course à la première place. Et dans le rap comme ailleurs, on a peut-être tous un peu besoin de se sentir un Jimmy Punchline pendant quelques minutes.

 

Camille Poher.