AAMO, qualité suisse
Révélé fin 2022 via son premier format « SUR MA LANCÉE », AAMO s’est depuis lors efforcé de cultiver son mantra créatif. Trois ans plus tard, celui-ci signe son quatrième projet « SIGNAATURE ». Si il est plus que jamais déterminé à apposer son empreinte sur le panorama rap francophone, le genevois n’en oublie pas pour autant d’où il vient ; à l’image de la cover du disque, c’est la Suisse, son multiculturalisme ainsi que ses principaux artisans qui sont ainsi mis à l’honneur. Dans la foulée de la parution de l’EP, Le Flow s’est entretenu avec AAMO, fer de lance de la nouvelle vague helvétique. Portrait.
Éclectique, c’est l’adjectif qui prévaut lorsqu’on observe l’architecture de certains édifices du quartier des Grottes. Éclectique, c’est également la façon dont AAMO aime définir son identité artistique. À l’instar du lieu où il a grandi, le suisso-ghanéen semble en perpétuelle évolution. Si il a longtemps été relativement discret quant à l’exercice de l’interview, l’intéressé admet avoir changé d’optique en préambule de la sortie de son nouveau projet : « Quand j’ai commencé à être actif dans la musique il y’a quelques années, j’avais déjà pour objectif de devenir un artiste, mais sans avoir conscientisé le fait que c’était un métier à part entière. Actuellement, je sais très bien où je veux aller et quels leviers activer pour réussir. Faire des interviews en fait partie. En soi, j’aime ça, c’est juste que je ne me sentais pas légitime auparavant, je n’avais pas de choses à raconter ». Il faut dire qu’en l’espace de quatre projets, AAMO a su confirmer les attentes placées en lui et surtout s’affranchir des codes, chose pas toujours aisée dans un milieu où l’on est vite catégorisé : « Lorsque j’ai commencé à faire du son avec mon collectif NGC1976, on était bien ancrés dans la Détroit. La peur que j’avais à ce moment-là, c’était qu’on me catalogue dans cette mouvance alors que ma couleur artistique est bien plus versatile. Même au niveau de ma playlist, je vais autant kiffer des sons archi crus à la Ateyaba que des sons hyper doux à la Franglish ».
Si les rythmiques propres au Michigan font toujours partie intégrante de matrice AAMO, ce dernier laisse progressivement place à l’expérimentation de nouvelles sonorités. Issue de son EP estival « LAKEHOUSE SEASON », la piste « RAVEROTIC » tranche dans le vif avec le reste de la tracklist ; mélodie fiévreuse et refrain chanté ont su bousculer la fanbase naissante du genevois : « Je pense qu’avec ce morceau, soit les gens ont kiffé l’évolution, soit ils ont été perdus. Cette transition-là, je l’ai perçue facilement dans ma tête mais en fait c’est un travail qui est plus compliqué que je ne le pensais. Mon objectif c’est de ne surtout pas m’enfermer dans une case, ni d’être ce mec qui fait tout et qui fait rien à la fois ». La mue du rappeur s’est ainsi poursuivie en 2024 avec son second album « CHARBONNER OU PRIER ».
Sur la dernière piste, les notes de piano d’un certain…Kamil Osmanov, rencontre déterminante pour AAMO : « Quand je sors « SML », Ken & Ryu (duo de beatmakers dont fait partie Kamil) m’écrivent afin de faire une session à Paname et c’est en discutant avec lui que je me rend compte qu’il est de Genève comme moi. Humainement on a grave des points communs donc ça a matché direct. Il y a peu de gens comme lui qui mettent tout en œuvre pour faire bouger la culture suisse. Kamil a déjà bossé avec les plus grands de l’industrie et maintenant il veut donner sa chance aux talents locaux, c’est honorable de sa part ».
Guère étonnant que le blaze du pianiste/beatmaker soit crédité sur la quasi entièreté des titres du nouveau projet d’AAMO, « SIGNAATURE ». Fruit d’un an de gamberge, l’EP a nécessité un long processus de réflexion selon son créateur, à commencer par la gestion de son entourage : « L’année 2024 m’a permis de faire le tri entre les gens qui croient en moi et ceux qui veulent investir en moi. Je me devais de restructurer mon équipe. $CO et Kamil, en plus d’être des humains talentueux, me guident dans mon cheminement musical. Niveau management, c’est toujours mon gars Ca$h. Et après, dans tout ce qui est stratégique, 386 Lab s’en charge très bien ». Le choix du titre ainsi que la double présence de la lettre A dans l’intitulé est tout sauf dû au hasard, l’helvète tenant à délivrer un disque à son image : « Mon objectif, avec ce projet, c’est qu’on capte ma signature. C’est moi, c’est la Suisse, je suis un produit de mon environnement et c’est ça que je défends. Ma proposition artistique, je l’ai trouvée depuis longtemps. Ce qui a pris du temps en revanche, c’est de proposer un contenu homogène au sein de cet EP. Pour l’anecdote, fin 2024 j’avais prévu de sortir un projet, mais le tout ne me semblait pas assez cohérent donc j’ai seulement gardé certains morceaux et je suis retourné au studio ».
En résulte donc 12 titres, condensé de ce que propose le genevois depuis la genèse de sa jeune carrière ; de la Détroit (« GVA », « ZERO 1 »), des envolées solaires (« LONG RIDE », « J’RESSENS RIEN », « DANGER » feat Sonny Rave) tout comme minimalistes (« LA VOIX DANS TA TÊTE »). Titre phare du projet, le bien nommé « CHF » se paie le luxe de réunir la double crème du rap genevois : « Kenzy c’est l’artiste le plus chaud en terme de mélodie et Mairo le plus chaud en terme de technique. Sans prétention aucune j’estime me situer entre ces deux spécificités, c’est pourquoi ce featuring a fait sens. Niveau processus, j’ai reçu une loop de piano signée Yuo que j’ai direct transmis à $CO pour qu’il me fasse une méchante Détroit afin que Kenzy et Mairo soient à l’aise sur la prod. On a posé dessus et la magie a opéré ! ». Au moment d’annoncer la sortie imminente de l’EP sur sa page Instagram, AAMO s’est fendu d’un texte inspirant, rédigé en one shot : « Celui-ci est pour tous ceux qui veulent représenter fièrement d’où ils viennent et qui ils sont, sans jamais attendre aucune validation ni force extérieure. Ta différence, c’est ta force !! Les autres suivront ensuite, car le respect ne se demande pas, il s’arrache !! Moi c’est aamo aka double aa jeune artiste suisse et voici ma signaature ».
Un véritable cri du cœur que débriefe le principal intéressé au moment de clore l’entretien : « Tous les artistes suisses avec qui j’ai pu discuter m’ont confié la même chose ; les auditeurs helvétiques vont attendre qu’ils soient validés à Paname pour les écouter ici, c’est hyper paradoxal ! Notre force c’est notre différence, il faut en être conscient et surtout en être fier. Si je fais le parallèle avec le domaine du sport, on a des ambassadeurs à l’international comme Lara Gut et Roger Federer, pourquoi c’est pas la même niveau rap ? Je ne sais pas si c’est de la pudeur ou de la gêne, mais quelque chose nous bloque encore, bien que le truc soit en train de se décomplexer au fur et à mesure. Il faut réveiller ce côté chauvin qui est enfoui en nous, oui le niveau de vie en Suisse n’est pas le même qu’en France, pourquoi s’en cacher ? Tant qu’on dépeint la réalité telle qu’elle est, je ne vois pas où est le problème. Avec « SIGNAATURE » je veux arriver sur le marché francophone en mode « On vient de Genève, on est fier d’être suisses et voici ce dont on est capables ».
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